Dans ce qui suit, quand j’utilise le terme : « dessus », cela veut dire : « à une altitude supérieure à… », « plus loin de la Terre que… ». Quand j’utilise le terme : « dessous » cela veut dire : « à une altitude plus basse que ».
Le rendez-vous spatial
Nous sommes quelque part sur Terre et nous voulons rejoindre un vaisseau, une station spatiale, ou un satellite, en orbite. C’est le cas le plus courant de rendez-vous spatial et nous allons parler de celui-ci.
Nous devons passer d’un état initial à un état final compte tenu des positions et vecteurs vitesse de deux corps : nous et notre cible, le satellite déjà en orbite. Dans cet exemple, nous sommes dans la navette américaine sur le site de lancement en Floride. Notre cible est un satellite sur orbite quasi circulaire, basse, disons à quelque 300 km d’altitude. Bien ! cela dit, examinons la situation initiale :
Vitesses initiales :
400 m/s vers l’est pour la navette sur le pas de tir, avec nous dedans : (Vitesse apportée par la rotation de la Terre à cette latitude).
7 500 m/s vers l’est pour le satellite sur son orbite.
Nous aspirons à une situation finale dans laquelle les vitesses et les positions seraient les mêmes à l’altitude du satellite.
Fenêtres de lancement
En considérant la figure 1, il vient à l’esprit que pour que le rendez-vous spatial soit économique en énergie, donc en carburant, il est préférable de lancer le vaisseau au moment où son site de lancement passe dans le plan de l’orbite du satellite. Cet événement se produit :
– En permanence dans un seul cas particulier : Quand la cible se trouve sur une orbite parfaitement équatoriale et que le site de lancement se trouve précisément sur l’équateur.
– Deux fois par jour quand l’inclinaison de l’orbite de la cible lui permet de dépasser la latitude du lieu de lancement.
– Une seule fois par jour quand l’inclinaison de l’orbite de la cible permet seulement d’atteindre la verticale du lieu de lancement.
– Jamais quand l’inclinaison de l’orbite de la cible est trop faible.
Ceci explique ce que sont les fenêtres de lancement. De plus, on comprend aisément leurs courtes durées et leur importance pour le rendez-vous spatial.
Le mouvement orbital
Le mouvement orbital peut être décrit par les lois de Kepler. Si elles ne vous sont pas familières, ce peut être une bonne idée de les considérer, par exemple là : Les trois lois de Kepler
La conséquence des lois de Kepler que nous allons examiner peut être simplifiée ainsi : Plus on s’éloigne du corps autour duquel on gravite, plus on tourne lentement autour de lui. Mais soyons plus précis :
Variation de la vitesse orbitale selon l’éloignement du centre attractif
La vitesse orbitale (v) varie comme l’inverse de la racine carrée de la distance au centre attractif (z). Figure 2.
Eloignement horizontal relatif, entre deux orbites circulaires
À chaque révolution, l’éloignement horizontal relatif entre deux orbites circulaires, est égal à la distance verticale multipliée par 3 π (soit approximativement multipliée par 10). Figure 3.
Par exemple, si vous vous trouviez à cinq mètres au-dessous de votre cabine spatiale, en train de flotter dans l’espace dans votre combinaison, au bout d’une révolution complète, 90 min plus tard, vous vous retrouveriez cinquante mètres devant cette cabine. On voit dès lors la nécessité d’être relié au vaisseau par un câble de sécurité quand on fait des sorties extra véhiculaires.
Ajoutons une évidence : il est impératif que les deux orbites soient précisément sur le même plan. Une position réciproque différente conduisant, on le comprend, à un écart latéral cyclique synchronisé avec la période orbitale.
Effets des impulsions positives ou négatives
Freiner pour aller plus vite, accélérer pour ralentir !
Phénomène surprenant (surprenant pour qui est entraîné à vivre sur Terre) : En orbite, il faut perdre de la vitesse pour aller plus vite, et il faut accélérer pour ralentir.
Figure 10. Que se passe-t-il donc lorsque l’on donne une impulsion positive ? Nous accélérons notre ronde autour du centre attractif, bien sûr, je ne vous le fais pas dire. Mais, là encore, pensons aux conséquences qui résultent de ce phénomène conforme au sens commun : Notre vaisseau gagne de la vitesse, donc la force centrifuge qui le maintient en orbite augmente également, donc il monte sur une orbite plus haute, donc… vous l’avez compris (conséquence des lois de Kepler) il va plus lentement sur cette orbite puisqu’elle est plus haute. En fait, il a perdu de la vitesse en montant.
Figure 20. Que se passe-t-il donc lorsque l’on donne une impulsion négative (c’est-à-dire, réacteurs dirigés vers l’avant, on accélère dans le sens opposé à notre course orbitale) ? Notre vaisseau perd de la vitesse. Jusque-là, rien de plus normal, me direz-vous. Mais pensons aux conséquences qui découlent de cette banalité : Notre vaisseau perd de la vitesse, donc la force centrifuge qui le maintient en orbite diminue également, donc il tombe sur une orbite plus basse, donc… vous l’avez compris (conséquence des lois de Kepler) il va plus vite sur cette orbite puisqu’elle est plus basse. En fait, il a gagné de la vitesse en tombant.
Modification de la forme de l’orbite
Il est important de comprendre qu’à la suite d’une impulsion le changement d’altitude maximum se fera de l’autre côté de l’orbite. Voir à droite les figures 10 et 20. Les orbites initiales circulaires sont représentées en vert, les orbites résultantes sont tracées en orange. Les impulsions positives ou négatives se font au point A.
– Dans le cas de l’impulsion positive, l’altitude maximum, l’apogée, sera atteinte au point opposé B.
– Dans le cas de l’impulsion négative, l’altitude minimum, le périgée, sera également au point opposé B.
Circulariser l’orbite
Nous sommes sur une orbite excentrée et nous voulons la circulariser. Voyons comment procéder.
Sur les figures 25a et 25b, les orbites excentriques initiales sont figurées en vert, les orbites finales circularisées sont orange. Pour circulariser une orbite excentrée, il suffit selon le cas :
– Si l’on veut garder la plus grande altitude, il faut donner une impulsion positive, d’une puissance adéquate, à l’apogée pour se placer sur une orbite circulaire d’altitude égale à cet apogée. Figure 25a. En effet, comme c’est dit plus haut, une impulsion positive en B augmente l’altitude du côté opposé, en A.
– Si l’on veut circulariser à l’altitude la plus basse, il faut donner une impulsion négative, d’une puissance adéquate, au périgée pour se placer sur une orbite circulaire d’altitude égale à ce périgée. Figure 25b. En effet, comme c’est dit plus haut, une impulsion négative en A diminue l’altitude du côté opposé, en B.
Dans les deux cas, il est possible de circulariser l’orbite en plusieurs fois, à chaque révolution, une impulsion réduisant l’excentricité.
Bien ! Revenons à notre rendez-vous spatial. Voyons à présent un scénario pour expérimenter ce que nous venons d’apprendre. Nous sommes dans un vaisseau, sur le même plan orbital que notre cible qui se trouve disons cent mètres devant nous. Nous sommes en A notre cible est en 1, figure 30. Notre orbite est tracée en orange celle de la cible en vert. Notre but est de la rattraper. Nous sommes de vieux routiers de l’espace. Aussi, au lieu d’accélérer comme le ferait n’importe qui, nous donnons une impulsion négative, autrement dit, les réacteurs dirigés vers l’avant nous ralentissons légèrement. C’est le cas illustré par la figure 20, la flèche jaune représentant l’impulsion négative. Mais revenons à la figure 30.
Notre vaisseau perd alors de la vitesse par rapport à la vitesse circulaire et glisse sur une orbite elliptique dont le périgée se trouve à 180° de l’endroit où l’impulsion s’est produite.
Immédiatement après notre « coup de frein », nous allons effectivement nous éloigner encore plus de notre cible. Mais, rapidement, nous allons aussi perdre de l’altitude en suivant notre nouvelle orbite dans la direction de son périgée. Ce faisant, notre chute va nous donner de la vitesse. De telle sorte que, comme nous l’avions prémédité en tant que vieux loups du cosmos, nous finissons par rattraper et même dépasser notre cible par le dessous. Les traits jaunes, reliant le vaisseau à sa cible à chaque étape, permettent de suivre les positions relatives. 40 min plus tard nous sommes vers D notre cible est en 4. Cinq minutes de plus s’écoulent, nous avons atteint notre périgée entre D et E. Une fois notre périgée dépassé (c’est le point qui nous éloigne le plus verticalement de la cible) nous remontons vers notre apogée qui coïncide toujours avec l’altitude de la cible. Encore 45 min plus tard, c’est à dire 90 min au total après avoir quitté le point A, nous nous retrouvons donc à l’altitude de la cible, mais cette fois devant elle. Nous sommes en effet de nouveau au point A, alors qu’elle est seulement au point 8.
On peut bien entendu imaginer le scénario inverse, figure 40
Nous sommes au point A devant la cible qui est au point 1. On accélère. Cette accélération nous fait monter vers un apogée situé à 180° de l’endroit où l’impulsion s’est produite. Monter nous ralentit. La cible nous dépasse donc. Nous finissons par redescendre vers notre périgée qui coïncide toujours avec l’altitude de la cible. Donc finalement nous nous retrouvons derrière la cible.
Hein ! Comme je vous l’avais dit : Freiner pour aller plus vite. On comprend mieux qu’il faille ralentir pour aller plus vite, n’est-ce pas ! Notre sens commun ne s’en trouve plus meurtri.
Mais alors, une fois devant, une fois derrière, jamais nous ne l’atteindrons, cette cible !
Mais si, bien sûr ! Tout est dans la parfaite maîtrise du phénomène décrit dans les deux scénarios. Il suffit de doser précisément les impulsions de telle sorte à ce qu’elle nous rapproche de la cible.
Nous avons vu par quelles manœuvres de navigation spatiale il nous est possible de rattraper la cible ou de nous laisser rattraper par elle. Il suffit de maîtriser finement cette technique. Pour avoir un ordre de grandeur, sachons, qu’à l’altitude de quelque 300 Km, une seule impulsion négative de 30 cm/s donne une avance de 5 000 m, à chaque orbite complète. Dans l’autre sens, pareil : une seule impulsion positive de 30 cm/s donne un retard de 5 000 m, à chaque orbite complète. Ceci montre à quel point il faut se garder d’utiliser son intuition de Terrien en matière de navigation spatiale. Il faut bel et bien ralentir, pour rattraper ce qui est devant nous, tandis qu’il faut accélérer, pour attendre ce qui nous suit.
Mouvements relatifs dans le rendez-vous spatial
Étudions à présent les mouvements relatifs du rendez-vous spatial entre la cible et le vaisseau, figure 50. Comme de toute façon, tous les mouvements sont par essence relatifs à un référentiel, nous choisissons, arbitrairement, de considérer que notre cible se meut sagement le long d’une ligne droite. Sa trajectoire est tracée en vert. La ligne courbe orange, décrivant des boucles, représente alors la trajectoire de notre vaisseau relativement à elle.
Hein ? comment ? non, cela ne nous donne pas plus la nausée que si nous étions à bord de la cible.Ce mouvement est relatif par rapport à celle-ci. Nous pourrions très bien considérer l’inverse.
C’est-à-dire que c’est nous qui suivons une trajectoire rectiligne alors que la cible décrit des boucles incongrues au-dessus de nous.
La figure 50 serait alors exactement identique, à ceci près, qu’il y aurait écrit : « Vaisseau » à la place de « Cible » et que les boucles orange représenteraient la trajectoire de cette dernière.
La figure 50 montre trois révolutions excentriques d’un vaisseau qui rattrape une cible sur son orbite circulaire. Les sommets des boucles, qui effleurent la ligne verte, sont les apogées, les bas sont les périgées. Dans cet exemple, il s’approche de la cible de 5 km à chaque révolution de 90 min.
C’est donc bien en nous plaçant sur une orbite plus petite, ou plus grande, que celle de la cible, comme sur les figures 30 et 40, que nous allons, nous approcher de notre RDV. Soit en attendant la cible (figure 40), soit en la rattrapant (figure 30).
Il existe plusieurs manières de procéder pour réussir un RDV spatial, méthodes russes, européennes, américaines… Je vais tâcher de détailler leurs particularités, dans un avenir (que j’espère proche). Toutes ces tactiques sont toutefois basées sur ce que nous venons de voir.
Pour résumer et simplifier
– Partir au bon moment. (Voir les fenêtre de lancement).
– Se placer sur une orbite parfaitement dans le plan de celle de la cible.
– Rester à une altitude moyenne plus basse, derrière la cible pour la rattraper.
– Réduire peu à peu la différence entre les deux orbites jusqu’à être sur la même au même moment au même endroit.
Boris Tzaprenko