Genèse de « Il sera… »
Question de vie ou de mort
(Genèse pour rire (quoi que…))
Sachez que le soustitre de cette genèse n’est nullement exagéré. C’est en effet une affaire de la plus haute importance qui m’a conduit à l’écrire. J’espère qu’elle saura donner la mesure de l’inconcevable aventure dont je suis la victime. Une histoire vraiment incroyable ! Vous allez d’ailleurs voir que c’est le cas de le dire…
Cela s’est fait peu à peu, si lentement que je ne m’en suis pas vraiment rendu compte, mais un jour, j’ai clairement constaté qu’elle était là, dans ma tête. Ainsi commençaient des péripéties abracadabrantes que j’allais vivre et dont le dénouement, vous le comprendrez bientôt, m’a littéralement obligé à écrire ce que vous êtes en train de lire. Obligé, dis-je, en pesant mes mots… Mais voici exactement les faits :
Croyez-moi s’il vous plaît, cette histoire n’a pas voulu rester dans ma tête. Elle s’y est débattue comme mille diables, tant et si bien qu’elle m’a obligé à l’écrire. Imaginez ses injonctions obsédantes qui raisonnaient en moi, jour et nuit : il faut que tu m’écrives, écris-moi tout de suite, répétait-elle inlassablement.
Je n’ai pourtant pas la réputation d’être un faible et de céder facilement, mais elle avait du caractère et je compris qu’elle ne me laisserait nul repos tant que je ne la satisferais pas. Cette conviction me porta à capituler. Je me mis donc au travail en évoquant les nuits tranquilles que je goûterais dès que je me serais débarrassé d’elle. Au début, la tâche me parut immense et plusieurs fois l’idée de renoncer m’effleura, mais l’histoire dans ma tête était de taille à se défendre hardiment, elle mit en pièces mes dernières hésitations. Les doigts au-dessus de mon clavier, je n’eus dès lors plus qu’à écrire mot à mot ce qu’elle me dictait.
J’aurais du mal à cacher que les premiers instants je me suis senti quelque peu humilié par cette singulière tyrannie, mais j’eus l’agréable surprise de constater que mon travail était immédiatement récompensé. En effet, l’histoire dans ma tête devint soudainement plus facile à porter, je retrouvais le sommeil et je prenais même peu à peu goût à l’écriture. Au risque de passer pour un irrationnel, une sorte de doux rêveur, voire un insensé, j’avoue que j’eus l’impression que j’établissais peu à peu des liens de réelle complicité avec l’histoire. Au bout d’une semaine, impatient de connaître la suite, je me mettais sagement au clavier en attendant qu’elle me la révèle. Et alors ? avais-je l’impression de lui demander. Alors… semblait-elle me répondre. Et la suite venait sous mes doigts qui pressaient les touches du clavier. Je n’avais plus qu’à lire sur l’écran.
Les semaines passèrent, puis les mois, et je devins de plus en plus impatient d’être sous sa dictée, jusqu’à ce que survienne le retournement de situation le plus inattendu. Je vous en laisse juge :
Figurez-vous qu’un soir, alors que je venais de m’installer devant mon clavier comme à l’accoutumée, impatient de savoir comment un personnage particulièrement attachant allait pouvoir sortir d’une situation difficile, l’histoire ne me dit rien. Rien ! Pas un traître mot ! Cette histoire despotique qui exigeait que j’écrive sous sa dictée m’avait libéré, elle n’était plus en moi selon toute apparence ! Mais, une petite introspection me révéla que je me trompais. Elle était toujours, là… Là, dans ma tête, mais elle était silencieuse.
Une histoire silencieuse ! une histoire qui ne dit rien ! quelle absurdité ! C’est alors que je me mis à exiger d’elle ce qu’elle m’avait imposé. Alors ? La suite… Que se passe-t-il ensuite, heum ? que dois-je écrire ? Elle ne répondait pas. Je me mettais en colère. Alors ! Alors ! m’entendais-je l’implorer. Mes doigts impatients tentaient d’écrire une amorce de phrase, vaine tentative de trouver une suite. Sur ce, j’entendis en moi comme si elle me disait :
— Tss tss tss… tu ne peux pas écrire n’importe quoi ! tu le sais bien ! … Il faut le sortir de là, d’une manière élégante qui tienne debout !
J’étais offusqué ! Bien sûr qu’il faut que ça tienne debout, mais c’est toi, l’histoire, ce n’est pas moi ! Moi, j’écris, simplement. Je n’ai rien demandé, moi ! Au début, c’est toi qui m’as harcelé, et à présent, voilà que tu…
— Je suis désolée, dit-elle, mais je ne sais pas. Je suis fatiguée. Il faut que tu m’aides.
— Que je t’aide !
J’aurais dû me sentir révolté, mais… une autre chose singulière se produisit. En effet, je m’aperçus que j’avais de plus en plus de difficulté à faire la différence entre moi et l’histoire.
Comme si elle m’avait imprégné, tout entier, comme si elle s’était dissoute en moi, comme si nous ne formions plus qu’un. Je me souviens que je me suis levé et je me suis mis à marcher de long en large dans toutes les pièces ; je me suis presque couché sur la table, en me tenant le front ; je me suis vautré sur tous les meubles, dans toutes les positions, réfléchissant à faire hurler mes méninges pour trouver une solution qui sauverait notre personnage. La torture dura des heures, mais, d’un seul coup, je jaillis du lit, sur lequel je me tordais à genoux, dans un hurlement de triomphe, une idée en tête. Là encore, je vais prendre le risque de passer pour un esprit insane, mais j’ai eu la sensation que l’histoire approuva et me félicita. Toujours est-il que je n’eus qu’à reprendre place devant le clavier pour que, le fleuve de mots reprenant son cours, je pusse découvrir la suite. Suite qui avait un intérêt encore plus grand puisque c’était grâce à mon idée que l’histoire pouvait continuer.
Cet événement se renouvela plusieurs fois, produisant de grandes souffrances agitées, mais chacun d’eux me rapprocha de l’histoire. À tel point qu’à moitié de l’ouvrage, je ne savais plus vraiment ce qui venait d’elle ou de moi. Je dois même avouer, qu’une fois le roman presque terminé, je me souviens avoir douté de son existence. J’ai supposé qu’elle n’avait jamais existé que dans mon imagination et que j’avais en vérité tout écrit tout seul. Pêché d’orgueil ! C’était sans compter sur la brutale réapparition de sa terrible tyrannie !
Il est impératif que je raconte ça aussi, car c’est là même l’objet de ces lignes :
Dès que le roman fut terminé, je me sentis étrangement vide. Bien, mais vide. Pas triste, seulement vide. Peut-être triste, un peu, finalement… je ne sais plus exactement. Il faut dire que je n’ai pas eu le temps de beaucoup m’occuper de moi. Le lendemain un ordre impérieux se mit à se répéter sans cesse dans ma tête.
C’était l’histoire, elle était revenue, plus obstinée et autoritaire que jamais !
— Il faut me faire connaître, disait-elle, il faut me mettre sur Internet.
Je ne manifestais aucun enthousiasme à cette idée. L’entreprise me semblait bien trop compliquée, par trop ardue. Je ne savais pas comment m’y prendre.
— Tu dois le faire. Si j’ai réussi à quitter ta tête, ce n’est pas pour rester sur ton disque dur.
Elle fit, là encore, preuve d’une implacable détermination. J’eus beau lui dire que je ne saurais jamais comment m’y prendre !
— Tu n’auras qu’à leur raconter la vérité, me dit-elle.
Je m’étonnais.
— La vérité ?
— Oui, raconte-leur notre histoire.
Je restais sans voix.
— Tu dois me faire connaître. C’est une question de vie ou de mort, pour moi. Comprends-tu ? Une question de vie ou de mort !
Oh, oui, je comprenais ! Je comprenais qu’elle ne me laisserait pas tranquille, tant que je n’aurais pas fait ce qu’elle me demandait…
— Bon, me suis-je entendu lui murmurer, si c’est une question de vie ou de mort…
Boris Tzaprenko